Commentaire "Peut-on rire en toute occasion ?"

Peut-on rire en toute occasion ?

Que l'on rie « jaune » « aux éclats », à « chaudes larmes » ou de nervosité, le rire semble la chose la mieux partagée au monde. Mais peut-on rire en toute  occasion. Avant de répondre à cette question, nous allons nous demander pourquoi on rit.

Lorsqu'on s'interroge sur les raisons pour lesquelles on rit on comprend vite qu'on ne peut pas s'en passer, en effet le rire et naturel, automatique, les muscles zygomatiques se mettent en marche et le rire se déclenche sans qu'on puisse le retenir. C'est ce qu'explique Raymond DEVOS dans « Le rire primitif ». Mais le rire a laissé des traces dans l'histoire, Georges MINOIS le présente comme antique, divin et moderne dans « histoire du rire et de la dérision ». Il montre ainsi les valeurs et les fonctions accordées au rire selon les époques. On peut également dire que le rire confère une certaine personnalité, celui qui rit fait rire les autres et devient amuseur, comique, clown ou humoriste. Et justement ce rire amène le divertissement, le théâtre, le cinéma trouvent un public, au XIXe siècle le vaudeville nait avec le pièce de COURTELINE, FEYDEAU ou encore LABICHE, aujourd'hui au cinéma les plus grands succès sont « La grande Vadrouille », « Bienvenue chez les CHT'IS » ou encore récemment « Intouchables ». On peut rire également parce qu'on ne comprend pas forcément ce qu'on entend et qu'on trouve cela amusant, IONESCO et BECKETT ont créé le théâtre de l'absurde en créant pour le premier dans la « Cantatrice Chauve » les personnage des SMITH parfaitement incohérents et pourtant si comiques et le second celui de Godot qu'on attend inlassablement. Enfin on rit parce qu'on souhaite s'intégrer à un groupe, Aymard du Chatenet et Caroline GUILLOT dans « faire rire quel métier » interroge Eliette ABECASSIS professeur de philosophie et écrivain qui s'est ouverte à la vie de groupe grâce à la lecture de bandes dessinées rompant ainsi avec la solitude dans laquelle elle s'était emmurée.

Le rire au demeurant naturel et utile peut toutefois se révéler subversif

Cela nous amène à nous demander si on peut véritablement rire de tout. Car certains sujets semblent délicats, qu'il s'agisse de maladie, de souffrances, de valeurs sacrées, de religion voire même de politique il est parfois difficile de rire, de se moquer. On doit évaluer le niveau de perception du destinataire. Lorsque Patrick TIMSIT écrit le sketch « les crevettes roses » et qu'il dit : « les mongoliens, c'est comme les crevettes roses tout est bon sauf la tête » il se heurte à un père d'enfant trisomique, choqué par la violence du propos et bien que TIMSIT soit un fantaisiste qui n'exprime pas forcément son opinion mais qui peut également se moquer des moqueurs, il doit faire face à un procès. Stéphane GUILLON pour sa part se heurte à la colère du ministre BESSON qui n'apprécie pas que l'on se moque de son physique, l'humoriste perdra son poste à France Inter suite à cette guerre médiatique. Tant de fantaisistes comme COLUCHE ou encore DESPROGES ont utilisé le rire pour se moquer de tous les sujets même les plus sensibles, COLUCHE n'a pas hésité en 1974 à mettre en scène un « CRS arabe » et DESPROGES en 1982 a fait un procès radiophonique à Jean-Marie LE PEN. Les limites de l'humour sont présentes dans certains pays d'Europe par exemple. Macha SERY dans « Rire jusqu'ou » publié en 2010 présente les sujets sur lesquels il est difficile de faire rire chez nos voisins. Quelques exemples sont à retenir comme « la famille royale » en Espagne ou « le pape » en Italie. Le contexte social ou politique peut être un frein au rire, pourtant certains n'ont pas hésité à mettre en exergue la réalité voire même l'horreur. Primo LEVI dans « Si c'est un homme » a témoigné de l'univers concentrationnaire en usant de l'humour comme d'une arme. Car l'écriture voire la parole peuvent servir à moquer ou encore à contrer les moqueurs. Edmond ROSTAND, auteur de « Cyrano de Bergerac » met en scène un personnage intelligent doté d'un appendice nasal disproportionné et qui se sert de son talent verbal pour répondre à un homme qui rit de ce défaut physique. La tirade avec laquelle Cyrano apostrophe son interlocuteur fait rire et renforce la virulence de l'attaque.

Le rire est irrépressible et humain, il est essentiel à notre équilibre mais il doit forcément être canalisé car on ne peut pas rire en toute occasion . Les époques changent et ce qui jadis pouvait être acceptable ne l'est plus forcément aujourd'hui. Que dirait-on du film de Gérard OURY « RABBI JACOB » aujourd'hui ? Accepterait-on les sketchs que Coluche offrait aux auditeurs d'Europe 1 dans les années 70 et 80 et qui frisaient l'insolence et la provocation ? Condamnerait-on Pierre PECHIN qui utilisaient les accents étrangers pour ses sketchs ? Il n'est pas certain qu'ils puissent rencontrer l'approbation générale, ces deux fantaisistes devraient faire attention pour ne pas faire polémique.

 

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